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Du design sous l’Arc de Triomphe empaqueté
Photo de Muriel Gani
Muriel Gani

 

Voilà, c’est fini :  l’Arc de Triomphe va retrouver ses façades de pierre mais l’œuvre éphémère restera dans les mémoires. A l’heure du démontage, retour sur un projet controversé qui soulève des questions chères aux designers.

 

L’œuvre posthume de Christo et Jeanne-Claude a déchaîné les passions. Dédaigné par beaucoup pour son côté massif et pompier,  ignoré des automobilistes tentant de se frayer un passage sur la place de l’Étoile,  le monument sépulture du soldat inconnu s’est retrouvé, une fois masqué, l’objet de toutes les attentions.

Mettre en lumière ce que l’on ne voyait plus, extraire du quotidien, faire réagir, telles étaient bien les intentions du couple d’artistes qui a nourri le projet durant des décennies. Paris réussi, en témoigne la déferlante de commentaires : J’aime/j’aime pas, “carrément emballé ! ”  “consterné par ce sac poubelle”  etc. etc. Certains ont crié à l’insulte au patrimoine national, d’autres – dont l’ancien ministre de la culture Luc Ferry ! –  y sont allés  de leurs railleries, de leur mépris.  

 

Questionner, perturber, étonner

Des réactions exacerbées qui rappellent à  quel point la nouveauté dérange nos habitudes, même celles dont on fait peu cas. Dans nos parcours d’usager ou d’utilisateur, qu’ils soient physiques ou digitaux, combien de fois sommes-nous perdus, agacés, insécurisés face à une signalétique modifiée, de nouveaux sens de circulation,  un site web ou une appli dont l’interface a changé. Quotidien, quand tu nous tiens ! Mais c’est bien le rôle de l’art, que de questionner, titiller, et pourquoi pas bousculer, nos biais culturels ! 

Empaqueté, l’Arc de  a attiré des foules bien plus bigarrées que les habitués des expos d’art contemporain. Arpentant le pavé de la place de l’Étoile rendue aux piétons,  les visiteurs du dimanche ont fait le tour du mastodonte pour l’observer sous toutes les coutures. Intrigués par la texture, ils se sont approchés pour toucher. Ils ont écouté, curieux, les explications des médiateurs, les remerciant chaleureusement du petit carré de toile offert à chacun. Étonnés, amusés, fascinés, beaucoup ouvraient des yeux d’enfant face à ce paquet cadeau abritant une énorme pièce d’un jeu de construction de géant.

Donner à voir l’essentiel 

En masquant la surface du monument, l’œuvre en a fait ressortir les volumes, la structure, l’essentiel :  une maquette stylisée à l’image des prototypes des designers. De loin, on croyait voir un croquis crayonné sur la réalité : impressionnant, l’effet graphique ne devait rien au hasard, l’artiste ayant indiqué précisément avant de disparaître où placer chaque pli du drapé, mètre carré par mètre carré. Rigueur formelle, exigence dans l’exécution, attention portée aux détails…  jusqu’au choix des couleurs (bleu/blanc argenté de la toile, rouge des cordages) aussi discret que symbolique. Cerise sur la gâteau, le reflet des 25 000 m2 de surface argentée modifiait la lumière alentour, donnant  à la scène une atmosphère irréelle, comme dans ces images de synthèse affichées par les architectes, les promoteurs, les urbanistes en amont des chantiers.

 

Des prismes révélateurs des processus de conception

Tels des calques transformant la réalité, ces différents prismes font écho aux enjeux et méthodes des designers. Ils reflètent les nombreuses phases itératives qui ont peu à peu concrétisé l’idée folle nourri par le couple dès les années 60 : multiples esquisses, dessins, collages ou maquettes dont la vente a intégralement autofinancé le projet (lequel n’a rien coûté aux contribuables, n’en déplaise aux mauvaises langues). Offrir des œuvres majeures à la vue du plus grand nombre en monétisant des créations connexes, produits intermédiaires dérivés devenus objets de collection : repérée dans d’autres domaines, notamment musicaux, cette approche associant  gratuité et notoriété  ouvre la voie à de nouveaux modèles économiques artistiques et culturels.

En deux semaines,  l’Arc de Triomphe a attiré près d’ un million de visiteurs,  presque autant que sa fréquentation annuelle  habituelle ! Sans parler des innombrables  images partagées tout autour du monde : caché, il n’aura jamais été aussi regardé ! Un événement d’art contemporain populaire – chose rare – une expérience visuelle exceptionnelle, un phénomène en matière d’usage culturel ! 

 

Muriel Gani pour Le Laptop

 

Sources :

https://www.lemonde.fr/culture/portfolio/2021/09/18/les-images-de-l-arc-de-triomphe-empaquete-par-jeanne-claude-et-christo_6095170_3246.html

https://www.arte.tv/fr/videos/100627-086-A/l-arc-de-triomphe-de-christo-emballe-et-influent/

https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/l-arc-de-triomphe-de-christo-pourquoi-empaqueter-des-monuments

https://www.franceinter.fr/culture/paris-au-moins-820-000-visiteurs-sont-venus-voir-l-arc-de-triomphe-empaquete

https://www.ouest-france.fr/culture/arts/arc-de-triomphe-sitot-empaquete-sitot-denigre-3733bdcc-149a-11ec-b2d1-d57c7be57e12

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